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La Culture Portugaise et
la France Littéraire

 

Paulo Ferreira da Cunha
Prof. Catedrático da Univ. do Porto

Weaker talents idealize: figures of capable imagination appropriate for themselves. But nothing is got for nothing and self-appropriation involves the immense anxieties of indebtedness (...). Harold Bloom [1]

 

I. Introduction

Quelle est la trace laissée au Portugal par les Français et par la culture française après tant et desi contradictoires évènements qui ont lié les deux peuples, tout au long de leur histoire?

Les constantes ne nous semblent pas difficiles à trouver et sont bien connues de tous. La France accueille des exilés [2] , fournit des princesses bienfaisantes et est le contrepoint des mariages avec les princesses espagnoles [3] ; quelquefois elle aide l'Espagne contre les coalitions luso-britaniques, d'autres fois elle aide les Portugais contre les Castillans ou les Espagnols. Elle attaque des navires et des colonies portugaises pendant l'occupation espagnole. Mais elle aide l'indépendance portugaise contre les Espagnols.

Dans ce bilan naïf, il y a quelque ambiguïté, bien sûr. Mais la balance penche du côté français. Ce n'est pas la France qui attaque le Portugal, ce sont des corsaires, de nationalité française. Ce n'est pas le Portugal qui est attaqué dans ses colonies. Ce serait plutôt l'Espagne... qui occupait le Portugal en outre-mer [4] . Ce n'est pas la France qui, quelquefois, attaque le Portugal. C'est l'Espagne, avec ses alliés français. Et, à la limite, les invasions de Napoléon seraient une alternative au joug colonialiste anglais, ayant pour compensation majeure la plus rapide ouverture du Portugal aux Lumières et au Progrès [5] .

Peut-être ces faits, et d'autres semblablement diffusés, ont contribué, sourdement, au stéréotype portugais du français, bien différent de celui qui serait tracé par un Major Thompson: diplomate, subtil, raffiné. Aimable sans servilité, mais réservé et soucieux de ses intérêts personnels. Stéréotype qui, malgré tout, se maintient de nos jours, excluant, naturellement, le stéréotype de l'envahisseur cruel et voleur, des invasions françaises, qui toutefois a coexisté avec le premier.

Et quelles seraient les influences nées de ces contacts complexes? Les influences directement issues de l'action politique, diplomatique et militaire sont difficiles à isoler. Bien sûr, il y a les conséquences des évènements partagés par les deux nations, bien sûr. Mais à quel point l'une a influencé l'autre et comment peut-on le prouver? Pour le faire, on devrait pouvoir isoler une politique française et une politique portugaise, tout au long des siècles. Et en termes que puissent devenir des éléments de comparaison, pour que les relations de cause et effet deviennent claires. Mais les constantes, en général, se bornent à l'intention commune de contrôler un pouvoir castillan-espagnol fort. Et cela serait le résultat d'une politique très simple: suivre les intérêts propres, avec les règles inévitables du contexte géopolitique.

Le Portugal a construit sa force en outre-mer, et, conséquemment, il a un peu négligé les alliances politiques continentales. Même l'alliance anglaise, dite la plus vieille alliance de l'Europe, est maintenue parce que l'Angleterre est une puissance maritime, et une réponse navale au mur continental que constituait l'Espagne. Sans doute que les relations avec la France se sont ressenties de l'Atlantisme portugais.

En tout cas, les Français se trouvent dans tous (ou presque tous) les grands enjeux de l'Histoire portugaise. Et ce que les relations commerciales, politiques ou militaires ont produit de plus beau et de plus durable, ce fut toujours l'échange de personnes, d'idées, de mœurs, enfin, le contact des cultures.

Ici, nous nous proposons spécifiquement de faire un bref aperçu de l'influence française dans la culture portugaise — et de nous demander si l'acculturation, même si envisagée sous un point de vue partial et univoque, celui de l'influencé face à l'influenceur, ne peut être surtout, et paradoxalement, un moyen de l'influencé se connaître et se reconnaître, bien plus que l'exportation ethnocentrique de l'influence de l'influent. Nous utiliserons dans ce travail, brevitatis causa, les catégories de l’influence établies par Harold Bloom [6] que nous avons élargies et adaptéespro domo dans notre ouvrage Para uma História Constitucional do Direito Português [7] : les désignations grecques sont à lui, les latines nous appartiennent.

II. Illustrations d'un échange multiséculaire [8]

Les portugais des classes supérieures de la société se dirigent à Paris comme les musulmans se dirigent à la Mecque. Doellinger [9]

Charlemagne est un thème déjà présent dans la littérature populaire galicio-portugaise [10] . Au XII.e siècle, l'avènement de D. Henrique, premier roi du Portugal, fils d'un noble de la Bourgogne, était déjà préparé, pour ainsi dire, par un fond culturel, deux siècles avant [11] . Cluny influera le style romanique portugais [12] , et on devra à Cîteaux, par la voie du monastère portugais d'Alcobaça [13] , soit la première école publique (qui a ouvert ses classes le 11 janvier 1269), soit la copie de plusieurs manuscrits, et des traductions du latin et du français qui ont beaucoup contribué à l'enrichissement lexical de la langue portugaise [14] . On ne peut pas ignorer aussi les contributions françaises dans le domaine de la réforme liturgique, dont le plus important a été la substitution, au Portugal, du rite hispanique par le roman, malgré les oppositions locales [15] .

L'action de Cluny et de Cîteaux est un cas de Refectio [16] .

Une situation différente sera celle des chanoines réguliers de Santa Cruz de Coimbra (d'où sortira après l'Université de Coimbra). Ils ont été particulièrement influents entre 1130 et 1180: plusieurs d'entre eux sont devenus évêques par tout le pays. Ils ont réussi à obtenir l'orientation idéologique de la cour portugaise. Dans nos catégories sur l'influence, où se placent ces religieux? Il s'agit d'un processus qui part du Portugal. Il y a une appropriation par des religieux portugais de l'idéal de vie de S. Rufin d'Avignon. La plupart des chanoines n'ont jamais quitté le Portugal [17] . Ils se bornaient à l'importation [18] . Dans ce cas, nous sommes face à une Mimesis.

Une troisième vague religieuse et culturelle très remarquable est celle des ordres militaires et des croisades, laquelle, par son radicalisme, va se mêler paradoxalement à un autre mouvement excessif, d'origine ibérique selon certains, l'anachorétisme. Tous ces mouvements (avec une grande tradition française de base) ont laissé d'importantes influences dans la religiosité, et dans la culture en général, des différentes couches sociales et des diverses zones du pays que chacun a pu toucher plus profondément [19] .

A l'aube de la nationalité portugaise, la Théologie française ne réussit pas à entrer au Portugal. Il semble que l'esprit peu spéculatif (abstrait) du peuple portugais, si souvent répété après, se devinait déjà. Seul Pierre Lombard est lu par le clergé portugais. Et les religieux qui laissent le pays pour faire leurs études s'intéressent presque seulement au droit. La philosophie n'entrera que plus tard, et très simplifiée, à travers les ordres mendiantes.

De toute façon, le processus d'échanges culturels est biunivoque. Les premières bourses portugaises sont données par notre deuxième roi, D. Sancho I, pour des recherches à l'étranger, et à un pays très concret: les textes disent in partibus Galiae studiorum. [20] . C'est révélateur. On doit ajouter un détail: les Portugais normalement retourneront au Portugal (on ne compte pas les exilés et quelques humanistes, comme les Gouveia), mais les Français restent souvent au Portugal [21] . Les Portugais vont en France apprendre; les Français viennent enseigner au Portugal. C'est déjà une “communication asymétrique”.

Sur le plan littéraire, l'influence provençale est très connue, et aussi la présence de plusieurs personnages français mythiques dans la littérature portugaise [22] . Entre plusieurs autres, Gil Vicente met en scène un diable picard.

L'accès à d'autres sources culturelles à travers la France se vérifie très tôt. Quelques traductions latines d'Alcobaça sont, sans doute, arrivées de France. Et, au XVI.e siècle, l'Organon d'Aristote est enseigné à Coimbra grâce à la France [23] .

En 1499, pour certains le premier an de l'âge moderne, le roi D. Manuel I attribue de nouvelles bourses pour des études en France, au Collège Montaigu. C'était un pas de plus sur un long chemin, qui venait des débuts duPortugal. Les Portugais avaient toujours étudié àplusieurs endroits de France, à Paris, à Toulouse, à Montpellier, etc. [24] .

Une centaine d'années après, en 1553, une autre date célèbre pour le changement de l'âge, Nicolas Grouchoy, latiniste et ancien collaborateur d'André de Gouveia, le célèbre humaniste portugais en France qui fut maître de Montaigne et recteur du Collège de France, traduit l'História das Índias de Castanheda, sur demande de Pierre Delamarre, vicomte du duché de Longueville. Pris par son succès, l'Auteur a commencé une traduction de A Castro, de António Ferreira — mais il ne l'a pas achevée, et le manuscrit s'est perdu [25] . En 1580, l'année même de la perte de l'indépendance nationale, c'est le tour de la traduction française des Imagens da Vida Cristã, de Frei Heitor Pinto.

Toutefois, selon l'opinion de Pageaux, malgré l'arrivée en France de plusieurs travaux portugais écrits en latin,“à la fin du XVIe siècle, le seul écrivain portugais connu des français est...'Osorius'” [26]

Et dans la même année de la restauration (1640) les Trovas du cordonnier de Trancoso, prophète de l'indépendance et du sébastianisme, sont imprimées à Rouen, et elles auront une réimpression quatre années plus tard. Cependant, le Triunfo lusitano, qui raconte la magnifique réception de Louis XIII de France aux émissaires du nouveau roi portugais D. João IV, finira par être mis en castillan, certainement pour être mieux connu de son destinataire le plus direct.

En 1645, sort des presses, avec une dédicace au Cardinal Richelieu, une version française de la Peregrinação de Fernão Mendes Pinto, sous le titre Voyages aventureux de Fernand Mendes Pinto. Elle a été traduite par un gentilhomme portugais qui porte un nom francisé, Bernard Figuier (Bernardo Figueira?). L'année suivante, João Soares de Brito envoie à Paris son Theatrum Lusitanae litterarum, et à Paris il est encore sous le n.º 1290, du Catalogue des Nouvelles acquisitions latines de la Bibliothèque Nationale. Il était alors fréquent l'envoi d'inédits pour être publiés en France, par les Anisson des presses royales de Cramoisy, ou de Maurry (celui-ci spécialisé —paraît-il— dans la publication des chrétiens-nouveaux – juifs – ibériques) [27] .

En 1665, à Lyon, sort O Auto do Fidalgo Aprendiz, de D. Francisco Manuel de Melo, qui semble avoir influencé, en 1670, la mise en scène de la comédie de Molière Le Bourgeois Gentilhomme. La culture portugaise en France y aurait une Recuperatio, au moins. [28]

Les énigmatiques Lettres Portugaises sont publiées en 1669. Elles ont suffi pendant longtemps aux préoccupations gauloises pour la littérature portugaise. La matière s'y prêtait: il s'agissait de lettres d'amour d'une religieuse portugaise dirigées à un noble français. L'identification de l'auteur intriguait la critique littéraire des deux pays. Rousseau s'y est intéressé, essayant de prouver que l'auteur était du sexe masculin. Quelques-uns ont écrit sur l'exclusivité française des thèmes amoureux, comme d'autres ont défendu l'exclusivité portugaise du genre lyrique. En outre, Maria Alcoforado a vraiment existé, et elle a vécu dans un couvent de Beja. En effet, l'affaire avait tous les ingrédients.

Politiquement, les évènements aventureux de la récupération de l'indépendance portugaise (peut-être aussi à cause du contrepoint aux espagnols) ont beaucoup intéressé les Français. Ainsi, en 1689, et avec plus d'éclat en 1690, paraît l'Histoire de la conjuration de Portugal, de l' Abbé de Vertot, texte qui changera de titre en 1711 pour Les Révolutions du Portugal [29] . Cet ouvrage serait une référence obligatoire sur la restauration portugaise de 1640 [30] . Dans cette orientation, au-delà du projet échoué de Marmontel, on signalera, en 1753, Les Lusitains, de Caradeuc de Kéranroy [31] , La Révolution du Portugal, de Marguerittes, et Pinto ou la journée d'une conspiration, déjà en 1799, de Lemercier.

Le XVIIIe siècle s'ouvrira avec une Histoire de Portugal de Lequien de la Neuville, éditée à Paris [32] . L'auteur, projetant une nouvelle édition, plus rigoureuse et complète, est allé au Portugal (accompagné de l'abbé Mornet), où il a reçu un accueil enthousiaste.

1723 redécouvrira un thème, Agnès de Castro, avec une tragédie de Houdar de la Motte [33] .

Os Lusíadas, de Luís de Camoens, n'auront leur première traduction qu'en 1735, par un connaisseur des lettres espagnoles, Jean du Perron de Castelara. La même année, la plume de Castre d'Auvigny, nous donne les Amusements historiques — une fois de plus le mythe d'Agnès de Castro —, aussi bien qu'un essai historique de La Clède, qui aspire à surmonter Neuville. Camoens — qui, réduit à l'épisode d'Agnès de Castro et à celui du géant Adamastor, est critiqué par Voltaire dans l'introduction de son Henriade — aura l'honneur d'un buste à Passy, en 1912. Entre-temps, Os Lusíadas seront toujours vus comme La Lusiade, vus les précédents, l' Henriade ou la Franciade. Et, bien sûr, L'Iliade... Camoens est “L'épique” [34] . D'ailleurs, et jusqu'au XVIII.e siècle, un lieu commun presque aussi grand au Portugal [35] .

En 1745, l'abbé Prévost dédie quelques pages aux qualités de l'Infant D. Manuel, dans ses Mémoires d'un homme de qualité. Il semble que c'est un travail d'une qualité isolée, dans un océan de textes “portugais” plus ou moins vides, plus au moins consternés avec la violence de l'Inquisition, du tremblement de terre de 1755 ou celui provoqué à la société portugaise par le Marquis de Pombal [36] .

La littérature française du XVIIIe siècle fait souvent du Portugal le scénario de quelques épisodes de fiction, destinés à donner au lecteur une ambiance plus véridique des ténèbres de la vie sans les conforts de la civilisation et sous l'intolérance cléricale [37] . Cette mode aura un exemple célèbre dans les malheurs de Candide à Lisbonne.

Cependant, à Lisbonne, l'historiographie moderne le prouve, presque tous (et entre eux plusieurs prêtres) soupiraient pour les Lumières françaises, qu'une élite imposait au pays. Rappelons-nous du Marquis de Pombal. Le marquis connaîtra une certaine fortune en France par la main des Philosophes. Un marquis “francisé” libérera pour quelques instants le Portugal de la honte, dans l'imaginaire intellectuel français. Le franciscain Norbert de Bar-le-Duc publie, sous le pseudonyme de l'Abbé Platel, d'immenses Mémoires historiques contre la Compagnie de Jésus, profitant du temps pendant lequel il a été au service de Sebastião José de Carvalho e Melo, à Lisbonne. Mais ce n'est pas seulement l’œuvre laïciste du marquis qui sera louée. Son œuvre pédagogique le sera aussi [38] . Finalement, son œuvre administrative et/ou “urbanistique-ideologique” [39] sera l'objet de louanges. Même qu'il ait existé aussi un “parti” anti-Pombal en France, dont un des animateurs serait l'Abbé Gattel [40] .

Portugal est de plus en plus français. A la fin du XVIIIe, Timothée Lecussan-Verdier traduit et fait des annotations à l'Hissope, de Cruz e Silva [41] Le Goupillon. Cet ouvrage était à son tour inspiré par Le Lutrin, de Boileau. C'est une espèce de Reditio de l'Histoire, un retour éternel. Presque tout se lit, même et surtout en cachette [42] . Les manuscrits circulent, les bibliothèques privées sont pleines de livres défendus. On traduit beaucoup, parfois sans faire référence à l'auteur français. En 1797, le poète portugais Barbosa du Bocage (auteur de nombreuses traductions, dont celle de Paul et Virginie, de Bernardin de Saint-Pierre [43] ) imprimait la version portugaisede Gil Blas, de Le Sage, auteur français qui, au contraire de Guevara, l'auteur espagnol de El Diablo Cojuelo, est inclus dans l'Index.

Malgré son anglicisme et germanisme très apparents, et le triomphe de ce dernier au Portugal selon la proclamation un peu naïve, un peu décisioniste d'Antero de Quental, le XIXe siècle est encore français. Très français même. La sophistication raffinée du “202” de Jacinto, ou les complexes de tous les Ega et tous les Carlos da Maia, dans l’œuvre d'Eça de Queiroz (bien que les montagnes finissent par triompher sur la ville, et les hagiographies sur les conférences démocratiques du Casino) [44] tout cela est français. Français aussi est le rythme à la Victor Hugo, chez le poète Guerra Junqueiro. Français sera, en bonne mesure, le romantisme portugais. [45] C'est encore dans le XIXe siècle que d’éphémères revues d'échange se créent — l'Abeille, 1836-42, la Revue lusitanienne, 1852-53... Et n'oublions pas que cent mille exemplaires de la constitution française sont entrés au Portugal au début du siècle. Les émigrés portugais à Paris pendant le XIXe siècle avaient fréquenté avec enthousiasme des cours et des conférences à la Sorbonne [46] . Français sera le début de As Viagens na Minha Terra, de Garrett, inspiré de Joseph de Maistre, et, à la fin du siècle, le symbolisme d'Eugénio de Castro. Même Camilo Castelo Branco, cherchant les sources nationales [47] , traduit Chateaubriand, et essayera d'écrire une version portugaise de La Comédie Humaine.

Sur le plan des influences culturelles avec une dimension plus nettement politique, les exemples ne seraient pas moindres. Silva Carvalho était influencé par les lectures de Condorcet, Beaujour et Montesquieu. Le Baron de la Brède était très répandu, en effet: avec Benjamin Constant et Rousseau (en 1821, le Contrat Social connaît deux traductions portugaises, une à Lisbonne et une autre à Paris [48] ), il était une des lectures des frères députés Passos. Herculano et Garrett avaient aussi lu le président du Parlement de Bordeaux. Et Alcipe ne lit pas seulement Fénélon. Elle lit aussi Voltaire, bien que pas tout Voltaire. [49] Dans le premier quart du siècle, à Lisbonne, et selon le témoignage du Marquis de Fronteira [50] , il y avait même des gens qui savaient par cœur des pièces de Racine, Voltaire et Molière. Les gentilshommesportugais comme le Marquis de Fronteira [51] , le comte de Linhares, José Francisco Braamcamp, ou le Duc de Palmela étaient très bien reçus dans les salons culturels de l'empire et de la restauration.

C'est au XIX.e siècle que commencèrent à être publiées en France des grammaires et des méthodes de portugais à très bon marché [52] . Mais seulement en 1938 sera donnée la possibilité d'une agrégation en portugais, ce qui, dans la pratique, semble n'avoir été appliqué qu'en 1973. Selon les critères de l'enseignement secondaire, il semble que la langue portugaise est officiellement considérée “langue rare”, tout comme l'italien et le russe [53] ). A l’époque de ces données, cette introduction du portugais en secondaire comme option n'avait pas encore obtenu ses fruits: 2372 français avaient choisi le portugais dès la classe de sixième, mais seulement 378 l'ont choisi comme “seconde langue”. Et toutefois plusieurs de ces étudiants étaient des français d'origine portugaise [54] .

Au long des siècles, on assiste à d'éphémères succès du portugais en France. Froissart parle des héros de la bataille d'Aljubarrota, Philippe de Commines éloge D. Afonso V [55] . Montaigne fait référence à son maître, André de Gouveia. Lamartine parle du génie de Frei Manoel do Nascimento et de la douleur de son exil. Quelques scientistes portugais sont très bien reçus, au XIXe siècle. L'Abbé Correia da Serra se correspond avec beaucoup de membres des académies françaises. Et bien d'autres noms portugais sont présents dans les académies et corporations intellectuelles de Paris, Bordeaux, Lyon et Marseille [56] . José Liberato Freire de Carvalho a même songé à la gloire pour avoir publié son Essai politique simultanément en portugais et en français. Entretemps, il a traduit pour le portugais des ouvrages de Montesquieu et de Condillac. Domingos Sequeira avait gagné un prix à Paris pour son tableau A morte de Camoens.

 De nos jours, Augusto de Castro a eu l'honneur d'un banquet, le théâtre de José Régio est joué à Paris, Torga, Agustina, Sophia et Pessoa (entre beaucoup autres) sont traduits, Manoel de Oliveira et d'autres cinéastes sont appréciés, le peintre Vieira da Silva, née portugaise, reçoit une décoration française. Et même, selon João Medina, la quantité d'études publiées en France sur Salazar est presque interminable [57] .

Tout cela semble curieux. Mais tout cela est très peu, comparé à la solide et permanente influence française au Portugal, soit par action, soit par répulsion. Pour certains, c'est une promesse d'un futur dialogue biunivoque [58] .

A la fin de cette liste très abrégée, on a la sensation que l'influence dérive surtout de traductions portugaises [59] . Il y a plusieurs influences culturelles, notamment philosophiques, philosophico-politiques, etc. [60] . Mais toutes ou presque toutes, passent par la traduction.

Est-ce qu'on doit donner raison à José Agostinho de Macedo, dans sa satyre, Os Burros [61] [ les Anes]?

“Génie de la traduction, délice, emploi
De plusieurs sages que le Tage pâture...
Avec des traductions de la Patrie, ils augmentent la gloire […]
Pope est traduit par Aguiar; Horace par Ribeiro;
Niceno a traduit, aussi bien que Bocage
António de Araújo traduit, en vers:
Manuel de Sousa a traduit de son vivant,
Manuel de Sousa est mort à traduire;

Traduit maintenant de Palmela, le comte

Et Cândido Lusitano traduisait;
Piedegache a traduit, et tous se sont trouvés
Au cinquième cercle des enfers...” [62]

 

III. Interprétations de l'acculturation française du Portugal

1. L'image mythique du Portugal en France et quelques aspects généraux d'une "balance d'influences" déséquilibrée

Le Portugal est, pour la culture française, un livre étrange. Etrange parce que peu connu, malgré la proximité, étrange parce qu'étranger, dans le sens de différent. La couverture d'un tel livre imaginaire aurait une de ces figures de trompe-l’oeil qui, grâce à une fine et transparente feuille plastifiée, fait souvent les délices (et la confusion) des enfants en transformant la princesse en sorcière et le prince en grenouille, selon l'angle d'observation. Daniel Pageaux dit même que le Portugal a pour le français "un visage diffus, comme une photographie défocalisée" ou une succession de portraits d'un "album mythique" [63] .

Et concrétisant cette couverture hybride, l'Auteur continue: "Pourtant, voilà que surgissent quelques détails qui nous permettent d'identifier un homme sans âge. Il semble imberbe, avec sa moustache à peine ébauchée, et il a le regard rêveur derrière un voile qui tombe d'une espèce de chapeau grand et noir. On dirait que ce voile fait partie d'un grand bateau qui difficilement s'aperçoit dans l'horizon." [64]

C'est une allusion à l'image canonique (peut-être pas la plus fidèle mais sans doute la plus connue) de l'Infant D. Henrique, surnommé «le Découvreur». Mais le comparatiste littéraire poursuit sa description, dessinant les contours d'un autre personnage: "(...) voilà que nous apparaît subitement un autre visage, celui d'un homme à barbe, le regard également rêveur, mais cet homme-là n'a qu'un oeil. Le chapeau à larges bords du premier homme a disparu, et il est remplacé par une couronne de feuilles de laurier autour de son ample front. On distingue très mal d'autres traces de son visage, mais nous voyons encore que cet homme porte une magnifique cuirasse et une sorte de chemise blanche avec un col haut et plissé autour de son cou." [65]

On reconnaît le portrait officiel du grand poète de la nation portugaise, Luis de Camoens [66] . Et l'Auteur continue à feuilleter les pages de l'album, voyant surgir de quelques ruines la chevelure poudrée du Marquis de Pombal, et ensuite les cheveux argentés de Salazar rehaussés par ses costumes noirs. Et, fermant son album, l'image surréaliste des immigrants portugais: "Effectivement, les mains blanches et les poignets repassés de la chemise, appartenaient à un autre corps, fait de milliers et des milliers de jambes qu'on voit sortir de la mer, marcher sur le sable, puis marcher à travers les rues, monter des échelles, des poutres, courant d'un lieu à l'autre sur la boue des chantiers..." [67] .

Sans doute que cette vision de Daniel-Henri Pageaux est celle d'un érudit. La vision la plus générale des français est certainement moins intellectualisée et, même pour cela, peut-être moins bienveillante.

Une certaine «culture» française, très habituée à voir le Portugal comme un simple appendice espagnol, se prive de connaître un des pays les plus francophiles du monde. Comme affirmait un français du XVIIIe. siècle, les portugais, s'ils ne l'étaient pas, préfèreraient être français. La vague d'immigrants portugais en France ne peut pas se justifier seulement par des raisons économiques [68]

Il y a toujours eu un flux bilatéral d'influences. Mais plutôt motivées par le désir portugais d'importer que par l'intention française d'influencer. Dans beaucoup de cas, on pourrait dire qu'il y a une influence française au Portugal, même pas soupçonnée par le commun des français.

2. Interprétations des contacts culturels, surtout littéraires

La France, le plus littéraire des pays.   Jorge Luis Borgès [69]

Le savant britannique Aubrey F. G. Bell, auteur d'une remarquable œuvre d'ensemble sur la littérature portugaise [70] pose très nettement le problème de l'originalité dans la littérature portugaise. L'auteur considère que le Portugais est doué d'une réceptivité “athénienne”, qui très tôt est devenu cosmopolite, parce qu'il était naturellement incliné aux rapports avec d'autres peuples par sa vaste côte et par des frontières terrestres peu rigides [71] .

Les Portugais seraient trèsperméables aux influences littéraires étrangères. Ces influences auraient même déterminé les périodes littéraires nationales. Ainsi, il y aurait eu au Portugal une école provençale (XIIIe siècle), une école espagnole (XIVe et XV e siècles), une école italienne (XVIe siècle), une école espagnole et italienne (XVIIe siècle), une école française (XVIIIe siècle) et une école anglaise et allemande (XIXe siècle).

Si cette périodisation aide notre but, elle nous semble exagérée, trop simplifiée. Qui pourra oublier les influences françaises si importantes au XIX.e siècle? Sur elles se basent les accusations de plagiat formulées contre Eça de Queiroz: son O crime do Padre Amaro serait une version de l'ouvrage de Zola La Faute de l'Abbé Mouret. [72] Et les influences dites anglaises et allemandes, ne sont-elles pas arrivées à travers la culture et la perspective des auteurs français, et reprenant quelques donnéesdes lumières dites françaises? Qu'est-ce qui commence et où?

Il serait commode de voir du “francisme” à l'aube de la nationalité, par l'influence des troubadours provençaux, et plus tard la revoir au siècle des Lumières. Toutefois, on ne pourrait l'accepter qu'à bénéfice d'inventaire, quand on compare les chansons d'amour influencées par celles du Pays d'Oc avec les chansons d'amis, typiquement portugaises, et surtout quand on envisage la question de la contamination des premières, exogènes, par les secondes, endogènes.

Et, dans le sens inverse, Andrée Rocha, qui souligne une constante admiration pro-française dans les lettres nationales, en des termes qui ne laissent aucune place au doute. De plus, avec l'intégration d'autres influences, la dimension de la division de Bell est relativisée: “En effet, si on parcourt la littérature portugaise dès les débuts jusqu'à nos jours, nous sommes frappés par la constante fascination que la France exerce sur la mentalité portugaise. Bien que quelquefois avec la concurrence, selon diverses motivations, par des influences espagnoles ou italiennes, anglaises et allemandes, et, plus récemment, par l'exemple russe [73] , nord-américain et brésilien, cette fascination n'a aucun parallèle en nulle autre relation bilatérale”. [74]

Mais Bell n'est pas seulement l'écho d'une périodisation, naturellement une façon de rendre simple le complexe [75] . Et il ne considère pas la littérature portugaise une simple transposition des littératures étrangères, selon les modes des siècles. Tout au contraire, s'il affirme l'influence étrangère, il souligne aussi, emphatiquement, l'originalité des lettres portugaises, en pages dont la lecture vaut la peine [76] . Nous nous bornerons à quelques passages: “On peut se demander, particulièrement de la part de ceux qui confondent 'influence' avec imitation, comme si celle-ci pouvait détruire l'originalité [77] : Qu'est-ce que la littérature portugaise a de spécifique? […] la satire celtique et la lyrique galicienne, mystique, […] le génie du récit, démontré par Fernão Lopes, ont pris une grandeur épique, dans le vers comme dans la prose, en conséquence des grandes découvertes portugaises en Afrique et en Asie […] une poésie particulièrement réaliste et naturellement bucolique.” [78]

L'Auteur considère encore le mysticisme portugais “plus persistant” que l'Espagnol, mais cette caractéristique fruit peut-être de la culture britannique de Bell, n'est pas souvent considérée entre les traits portugais.

Et quelques lignes après il souligne: “Qu’extraordinaires aient été les faits du Portugal dans les Découvertes et dans la Conquête, sa littérature n'est pas indigne de ces faits” [79]

 Et cela parce que la Renaissance portugaise, précisément la période des Découvertes — en tant qu'expansion pacifique et essentiellement commerciale et religieuse —, a été une période profondément originale.

Ce dernier aspect, qui lie ici la question de l'originalité à celle de l'influence, est, peut-être, vitale. Et peut-on conclure, généralisant l'affirmation, que, s'il est vrai que (naturellement mutatis mutandis) les faits littéraires des portugais ressemblent à leurs découvertes, les faits littéraires et leurs qualités, la façon d'être, seraient le reflet de sa façon d'agir?

Aubrey Bell, l'auteur d'un grand pays, le dit: il considère la littérature portugaise comme la plus originale des littératures des petits pays [80] .

Retournons au parallèle avec les Découvertes. Il y a une thèse de doctorat présentée à la Sorbonne par un portugais, sur le problème de l'originalité, plus spécifiquement sur l'originalité de la Renaissance portugaise. Son auteur est l'historien portugais, déjà décédé, Joaquim Barradas de Carvalho [81] . Cela fait plus de 800 pages de texte et documents qui semblent avoir établi le sens de l'originalité ou de la spécificité [82] portugaise à cette époque.

Grosso modo, et privilégiant notre question, on dirait que le processus de recherche avait commencé, ou a pu commencé par la question-réponse [83] de Georges Lefebvre: “De cette aventure élargie, multiséculaire (à nos yeux), la Renaissance — quel a été en gros le fait essentiel? Bien sûr, les grandes découvertes.” [84]

Après avoir cité son maître, Barradas de Carvalho progresse par un saut logique-heuristique important, inspiré par la question de Lefebvre. Ou mieux: la question de Lefebvre a fonctionné comme l'étincelle qui a enflammé une mèche déjà prête par des réflexions antérieures et quelques préoccupations de Carvalho sur le Portugal, les Découvertes, la Renaissance. Il dit immédiatement après: “Cette évidence émise par Georges Lefebvre nous fait penser que le Portugal a une place de choix par rapport à ce fait essentiel de la renaissance. Et tout ce qui, de loin ou de près, est lié aux grandes découvertes, est ce qui peut nous donner les traits spécifiques de la Renaissance portugaise.”

Alors, essayons de reconstituer le fil de cette recherche, récapitulantun peu, et en ajoutant des éléments nouveaux:

L'essentiel, disons, le spécifique, alors, l'original de la Renaissance (dans la synonymie de l'Auteur) ce sont les Découvertes. Les Découvertes sont une originalité portugaise —préssuppose, dès le début, l'Auteur, portugais: “Portugal a une place de choix” face aux Découvertes, Ainsi, si les Découvertes rendent la Renaissance singulière, ce qui peut rendre à son tour les Découvertes portugaises singulières est la spécificité de la Renaissance portugaise [85] , dit quelle est son originalité. Et, dans ce domaine, l'auteur nous donne une conclusion brève (vingt pages de texte) mais documentée (plus de cent pages de notes microscopiques): il suit l'opinion du brésilien Sérgio Buarque de Holanda. Pour eux, contrairement à l'expansion espagnole, conquérante, la portugaise a été commerciale, comme la grecque et la phénicienne [86] .

Sans plus entrer dans le complexe syllogisme de Barradas de Carvalho, nous pouvons nous demander en quoi il peut éclairer notre problème.

A notre avis, il confirme, en quelque sorte, A. Bell, car il fait intervenir les Découvertes comme moment crucial de l'histoire portugaise, donnant originalité à la Renaissance portugaise et de la Renaissance en général. Et Bell, comme nous l'avons vu, basait un peu l'originalité portugaise sur l'expansion.

Mais Carvalho va encore plus loin: il nous fournit une sorte de double confirmation (ou, alors, une confirmation en kaléidoscope, qui se reproduit plusieurs fois) de l'originalité littéraire portugaise [87] dont Bell nous parlait.

Le Portugal est original dans sa Renaissance à cause des Découvertes, [88] qui, d'ailleurs, sont différentes des espagnoles par leur “pacifisme” commercial.

On voit que la première originalité semble pouvoir être partagée avec les Espagnols. Mais un second niveau d'originalité se dessine, et leurs différents comportements coloniaux marquent la spécificité de leur Renaissance: pendant une longue période, les Portugais dirigent une expansion commerciale et, malgré tout, avec une stratégie non belliciste: ils découvrent une région, ils demandent la permission de s'y installer [89] , ils évitent les combats avec les peuples autochtones [90] . Ils ne cherchent pas à éliminer l'autre, mais à vivre avec lui. Le mariage avec des femmes natives, par exemple, n’est pas seulement une pratique fréquente, mais aussi une politique encouragée. Plus tard, au XVII.e siècle, face surtout à la colonisation territoriale et méthodique des anglais et des hollandais, ils essayeront vainement de démontrer que la découverte est plus importante que la conquête. Dorénavant, il ne suffira plus d’arriver le premier, il faut savoir se maintenir en premier.

On vérifie, alors, que la nouvelle et profonde originalité qui se dessine est en parfaite harmonie avec le type-idéal du Portugais et de la portugalité définie, parmi tant d'autres, par l'éminent anthropologue Jorge Dias [91] : le portugais révélerait une certaine douceur de caractère qui, par exemple, a toujours empêché ou assoupli les conflits [92] . Le Portuguese way of life se confond, dans les mots de ses critiques, avec les “mœurs doux [ou moux]” (“brandos costumes”). Cela doit être modéré, parce que nous avons aussi été capables de choses féroces: en tant de crises graves, il faudra le dire…

Mais toute originalité cache ses paradoxes. Celle qui est précisément la plus grande originalité de l'expansion portugaise est, en fin de compte (et reprenant Buarque de Holanda), la reprise d'un lieu-commun historique: l'originalité de la colonisation faite par les puissances maritimes de l'Antiquité, soit par la Phénicie soit par la Grèce. En conclusion: Bell avait bien raison quand il n'opposait pas absolument l'influence (ou, dans le cas concret, la coïncidence [93] ) à l'originalité. Une chose qui change de temps n'est plus la même, et tantôt elle peut donner une impression de déjà vu, tantôt elle peu paraître le dernier cri. Everything old is new again ...

Si on se met à feuilleter les anthologies littéraires espagnoles, on peut parfois y trouver Camoens, Gil Vicente, et beaucoup d'autres grands noms de la littérature portugaise. En effet, plusieurs écrivains portugais ont utilisé aussi la langue castillane [94] . C'était une question de public [95] . L'intention était d'atteindre un plus vaste nombre de lecteurs. Jusqu'au XVII.e siècle, au Portugal, le castillan a joué, pour les ouvrages littéraires, un rôle identique à celui du latin en ce qui concernait les ouvrages scientifiques. Et après, d'autres écrivains portugais ont choisi d'autres langues. Fernando Pessoa a écrit aussi en anglais, naturellement parce qu'il a été éduqué en Afrique du Sud. Cavaleiro de Oliveira, Silvestre Pinheiro Ferreira et Vitorino Nemésio ont écrit en français par des raisons les plus diverses.

C'est un problème culturel, mais aussi démographique. Les Portugais ont toujours été très peu de gens [96] . Même quand ils avaient un empire énorme, et aussi parce que l'empire, séparé et uni par la mer, a coûté au pays beaucoup de vies. "Oh, la mer, combien de ton sel sont des larmes de Portugal", dira Pessoa.

Cependant, pour un étranger, la liaison entre la culture et la langue portugaise et espagnole est encore plus forte que les autres phénomènes de bilinguisme littéraire [97] . Une thèse très répandue (presque une vox populi parmi les intellectuels) identifie purement et simplement la culture portugaise à l'espagnole, ou mieux: qui considère la culture portugaise une subdivision de second niveau de la culture espagnole, une culture périphérique [98] . Ce qui se traduirait par un appauvrissement de la culture européenne, par amputation d'un élément de sa diversité [99] .

Nous avons conscience de l'insertion de notre question dans le vaste patrimoine culturel des relations entre la France et le Portugal. La France est considérée, à plusieurs égards, et surtout depuis le XVIII.e siècle, la plus grande source culturelle portugaise. Les influences culturelles françaises et, d'une manière générale, les rapports franco-portugais, se projettent dans plusieurs directions, de la politique à la rhétorique. Et ce n'est pas rare que l'influence française soit le véhicule de transmission d'autres cultures, d'autres influences.

Pourtant, un aspect est indéniable. L'influence de la France au Portugal a presque toujours une matrice littéraire. C'est par la littérature que la France a conquis le Portugal culturel, et ce n'est après qu'elle a passé à d'autres formes d'expression de la pensée, non fictives, comme la philosophie ou le pamphlet. Ainsi, l'influence juridique et politique française au Portugal ont comme base non seulement le prestige de la langue française, sans lequel rien ne serait possible, mais aussi l'amour portugais pour la littérature française. Si les grands penseurs politiques français n'auraient pas été aussi des écrivains, probablement tout se serait passé de façon bien diverse. Et si la langue française n'était pas suffisamment latine, souple et digne d’être comprise, utilisée et vénérée, les idées qu'elle véhiculait ne l'auraient jamais été. Le prestige de la langue française était un prestige littéraire, et il fonctionnait dans une société qui célébrait l'excellence de la littérature.

Du point de vue politique, la France a été responsable pour la création et la diffusion d’un constitutionnalisme moderne rhétorique au sens faible, que les Portugais ont adopté, quand ils possédaient dans leurs racines hispaniques, dès les Conciles de Tolède, une originalité des libertés beaucoup plus efficace [100] . Mais ce legs n’est pas totalement vide [101] , comme il ne l’est pas celui de la révolution anglaise et de l’indépendance américaine. Ce qu’il faut corriger c’est l’oubli de nos racines, qui sont encore vivantes, d’ailleurs dans les pays de langue portugaise, comme le Brésil.

De nos jours, avouons-le, la crise du prestige de la langue française est surtout la crise d'une société qui ne célèbre plus la littérature, et n'y cherche point ses modèles. L'uniformisation du monde est, dans une grande mesure, le fruit du triomphe des media massificateurs — de la musique, des films et des programmes de télévision, à l'Internet... Cela est vrai aussi pour la nouvelle acculturation du Portugal contemporain, où on ne lit plus, et où les classes de français se vident. Malheureusement!

Ceci dit, il faut envisager de nouveau les contacts culturels avec la France. Etant la balance d'échanges culturels déficitaire pour le Portugal est-ce que le legs français a été intégré et transmuté dans une idiosyncrasie propre? Ce qui, après, a été appelé d'“estrangeirado” et de“francisé”, sera ce qui n'a pas été intégré et transmuté? Le bon legs français sera vraiment français, mais sans trop accuser son étiquette “made in France“?

Les contacts, même médiatiques et officiels, subsistent. Les traductions continuent. Même des portugais en France. Le Magazine Littéraire a fait un accord avec un Programme culturel de chaîne «culturelle» de la télévision portugaise, l’Acontece – aujourd’hui menacé de suppression par l’économisme du gouvernement, aussi bien que la chaîne elle-même.

La culture française risque de devenir un phénomène élitiste d'acculturation dans un contexte de cosmopolitisme gris qui ne parle pas même l’anglais. Shakespeare serait choqué par la nouvelle langue véhiculaire (lingua franca)…

Est-ce que pour les Portugais, être francisé pourra un jour devenir la seule solution d'être membre de la latinité, citoyen du lac romain, et même d'être soi-même, dans ses propres racines?

L’universalisme lusophone implique la défense (entre autres) de la culture française contre le cosmopolitisme gris, l’espérantisme culturel – un des visages de la correction politique et culturelle. Et c’est par cela que la première édition de ce texte est parue dans un des plus rêvés paradis des Français: le Brésil [102] . Rêve que les Portugais cependant ont eu la chance de vivre…



[1] Harold BLOOM, The anxiety of influence. A theory of poetry, New York, Oxford University Press, 1973, p. 5.

[2] Les exilés libéraux se sentiront presque tous bien en France. Avec les exceptions sonores de Garrett (par un moment) et Herculano. Cf. Vitorino NEMÉSIO, Exilados (1828-1832). História sentimental e política do Liberalismo na emigração, Lisbonne, Bertrand, s/d, máx. pp. 139-146. Sur les exilés en Castille, pendant le moyen-âge, Humberto Baquero MORENO, Exilados, Marginais e Contestatários na Sociedade Portuguesa Medieval. Estudos de História, Lisbonne, Presença, 1990, máx. p. 26 et suiv..

[3] Un dicton populaire encore usé dit: “D'Espagne ni bon vent ni bon mariage“. Texte portugais: “De Espanha nem bom vento nem bom casamento“ . Les mariages royaux entre l'Espagne et le Portugal étaient souvent dangereux pour l'autonomie nationale. A la fin du XVI.e siècle, Philippe II d'Espagne a hérité la couronne portugaise, même s'il a fallu se battre contre les autres candidats. Seulement une révolution, la Restauração, l'a enlevée de la tête des Philippes.

[4] D'ailleurs, Racine soulignera la lutte de libération du Brésil contre les Hollandais...

[5] Bien sûr, ces affirmations ne seront pas partagées par tous les Portugais de toutes les tendances et toutes les époques. Mais, sauf quelques points de vue anglophyliques ou ibéristes, la position de la France est presque toujours louée ou expliquée, pardonnée. Sur le mythe du progrès associé à l'utopisme du XVIIIe siècle, cf. Raoul GIRARDET, Mythes et Mythologies Politiques, Paris, Seuil, 1986, p. 137.

[6] Harold BLOOM, The Anxiety of Influence. A Theory of Poetry, New York, Oxford Univ. Press, 1973.

[7] Paulo Ferreira da CUNHA, Para uma História Constitucional do Direito Português, Coimbra, Almedina, 1995, pp. 16-17, n. 3.

[8] Nous ne voulons ici que fournir quelques exemples factuels et théoriques qui permettent de mieux intégrer le courant magnétique de l'esprit que rapproche le Portugal de la France. Il n'y a aucune prétention à l'exhaustivité dans les pages suivantes. D'ailleurs, “Il faut des années d'analyse pour une heure de synthèse “ (Fustel de COULANGES, apud Georges Le GENTIL, "Les Français en Portugal" in Bulletin des Etudes Portugaises, Coimbra, Vol. I, 1931, p. 447. Une table analytique des rapports ou une théorie générale des influences du problème sont deux choses qui ne sont point dans nos intentions ici.

[9] DOELLINGER, théologien allemand ami de A. Herculano, cité par V. NEMÉSIO, Exilados..., p. 130.

[10] Cf. Rodrigues LAPA, Lições de Literatura Portuguesa. Época Medieval, 9.ème ed., Coimbra, Coimbra Editora, 1977, pp. 122-131, qui parle de toute l'influence française dès D. Dinis (“Quer'eu en maneira proençal/ fazer agora un cantar d'amor...“, Cantigas de Amor (Nunes), n.º 69), conclut, appuyé sur les travaux d' Henry Lang, que l'imitation française au Portugal a été essentiellement une captation formelle, et qu'au Portugal on n'a jamais traduit un seul vers. Cet Auteur ajoute, significativement: “Et l'influence française est présente chez nous précisement dans les points et dans la mesure où elle flattait ce tempérament [nostalgique]“ (Texte portugais: “E a influência francesa deu-se precisamente entre nós nos pontos e na medida em que lisonjeava esse temperamento [nostálgico]“.). C'est bien une influence sélective et d'après une originalité.

[11] Cf., pour des influences encore plus anciennes, Pedro de AZEVEDO, “Influência francesa em Portugal até 1100“ , Boletim da Segunda Classe da Academia das Ciências de Lisboa, Lisbonne, A.C.L., 1914, t. VII.

[12] Cf., Flórido de VASCONCELOS, A Arte em Portugal, I vol., Lisbonne, Verbo, 1973, p. 25 et suiv..; Plus spécifiquement, cf. Dom Maur COCHERIL, Notes sur l'architecture et le décor dans les abbayes cisterciennes de Portugal, Paris, Centre Culturel Portugais, 1972; Artur N. de GUSMÃO, A expansão da arquitectura borgonhesa e os mosteiros de Cister em Portugal, Lisbonne, 1956.

[13] Et soulignons que le monastère d'Alcobaça existe encore, ce qui ne fut pas le destin de Clairvaux. Alcobaça nous permet ce que nous appelons une Apophrades. Dans le même sens, mais sans utiliser cette terminologie, José Augusto FRANÇA, Art français, Art portugais — un dialogue de neuf siècles, in “Les Rapports Culturels et littéraires entre le Portugal et la France", Actes du Colloque, Paris, 11-16 Oct. 1982, Paris, Fundação Calouste GulbenKian, C.C.P., 1985, pp. 683 et suiv.. Cf. aussi Daniel-Henri PAGEAUX, Imagens de Portugal na Cultura Francesa, Lisbonne, Instituto de Língua e Cultura Portuguesa, 1984, pp. 45-46.

[14] Parmi ces textes, soulignons l'adaptation de Li faits des Romains (Vida e feitos de Júlio César), cf. José de Azevedo FERREIRA, “As Relações Culturais luso-francesas durante a Idade Média" in Les Rapports culturels..., p. 32.

[15] Ces aspects d'histoire de la culture ecclésiastique sont, au Portugal, relativement nouveaux, et complètent significativement le cadre traditionnel de la pure culture littéraire et documentale, comme le dit José MATOSO, Monges e Clérigos portadores da cultura francesa em, Portugal (séculos XI e XII), in “Les Rapports culturels...“, cité, pp. 41 et suiv.; Idem, Le monachisme ibérique et Cluny. Les abbayes du diocèse de Porto de l'an mil à 1200, Louvain, 1968. Le thème a suscité un autre étude où la question de l'originalité se pose. Une fois encore, il s'agit d'un texte d'un portugais en langue française: Pedro Romano ROCHA, L'office divin au moyen âge dans l'église de Braga. Originalités et dépendances d'une liturgie particulière au moyen âge, Paris, Fundação Calouste Gulbenkian, Centre Culturel Portugais, 1980. Ici, l'opposition se joue entre l'originalité et la dépendance (celle-ci est plus frappante, plus directe et plus servile que la simple influence).

[16] Ce n'est pas une pure Traditio parce que, par exemple dans le cas du legs de Cluny, il a été objet d'une re-élaboration aquitaine avant son implantation au Portugal. On pourrait se demander s'il n'y avait pas une double Refectio. Cf. José MATTOSO, Monges..., cité, pp. 45-46. Sur les catégories de l'influence, cf. notre Para uma História Constitucional do Direito Português, Coimbra, Almedina, 1995.

[17] Il y a l'importante exception de D. Jean Peculiar, qui a étudié en France.

[18] Cf. José MATTOSO, Monges, cité, pp. 46-47.

[19] Des développements in José MATTOSO, Religião e cultura na Idade Média Portuguesa, Lisbonne, Imprensa Nacional-Casa da Moeda; Carl ERDMANN, A ideia de cruzada em Portugal, Coimbra, Coimbra Editora, 1940; Dom Maur COCHERIL, Etudes sur le monachisme en Espagne et au Portugal, Paris, Les Belles Lettres, 1966. Sur les templiers au Portugal, et malgré toutes les réserves que le sujet naturellement suscite, v. Rainer DAEHNHARDT, A Missão Templária nos Descobrimentos, Lisbonne, 1991; Eduardo AMARANTE, Portugal Simbólico, Lisbonne, 1991, p. 140.

[20] A. de J. da COSTA/ Marcelino PEREIRA, Documentos de D. Sancho I, Coimbra, 1979, p. 75, doc. 47.

[21] Cf. Le GENTIL, Les Français, cité, p. 419.

[22] Bien que quelques-uns des personnages ne soient pas exclusivement ou originairement français. Cf. une liste in José de Azevedo FERREIRA, As relações culturais, cité, p. 39: “Lançarote, Merlim, Tristão, Iseu, Flores, Brancaflor, etc.“

[23] Jorge Alves OSÓRIO, “Um contributo francês para o ensino coimbrão no século XVI: a edição do Organon de Aristóteles“, in Les rapporta culturels..., cité, p. 67 et suiv...

[24] Cf. Joaquim Veríssimo SERRÃO, Les Portugais à l'Université de Montpellier, XII-XVIIeme siècle, Paris, Fondation Calouste Gulbenkian, 1971; Idem, Les Portugais à l'Université de Toulouse, Paris, 1970; Idem, Relações históricas entre Portugal e a França (1430-1481), Paris, Fondation Calouste Gulbenkian, 1975.

[25] Le GENTIL, Les Français, cité, p. 423.

[26] Daniel-Henri PAGEAUX, Imagens, cité, p. 29. En vérité, Osório avait aussi été traduit, en 1587, par Simon Goulard (cf. Le GENTIL, op. loc. cit.). Il s'agit sans doute de l'évêque de Silves, Jerónimo Osório (1506-1580), auteurs de plusieures œuvres morales d'inspiration cicéronienne, qui a étudié à Paris et a mérité l'éloge de Montaigne. Cf. Luís de Almeida BRAGA, “Prefácio“ à D. Jerónimo OSÓRIO, Da Instituição Real e sua Disciplina, trad. portugaise de De Regis Institutione et Disciplina, Lisbonne, Pro Domo, 1944, p. XXVIII.

[27] Cf. António Coimbra MARTINS, “Sobre o Fundo Português da Biblioteca Nacional de Paris “, in Les rapports..., cité, pp. 215 et suiv..

[28] Andrée ROCHA, "Relações culturais luso-francesas. Do geral ao particular" , in Les rapports culturels..., cité, p. 374; Le GENTIL, Les Français..., cité, pp. 427-428. Mais le tribut portugais à MOLIÈRE (que, d'ailleurs nous place parmi les peuples civilisés dans son Pourceaugnac ) ne se fait pas sentir immédiatement. Il faut dire que, pendant la première moitié du XVIII.e siècle, Georges Daudin est traduit par Alexandre de Gusmão, le même qui a eu une petite querelle avec le Marquis d' Alegrete, défendant l'excellence du théâtre français sur le théâtre espagnol (A. J. da Costa PIMPÃO, "La querelle du théâtre espagnol et du théâtre français au Portugal, dans la première moitié du XVIII.e siècle" in Revista de História Literária de Portugal, Coimbra, 1962, vol.I, p.259 et suiv. ). Et que le nom de Molière était déjà présent, comme autorité, dans les sessions académiques de l' Arcádia Lusitana. Mais ce sera surtout à la fin du XVIII.e siècle qu'il deviendra plus fréquent. En 1776, au théâtre royal, à Salvaterra, pendant le Carneval, une adaptation de l’œuvre de Molière Le Sicilien ou l'amour peintre (en texte italian) sera mise en scène (cf. António Coimbra MARTINS, “Molière no Teatro Real de Salvaterra…", in Les Rapports... , cité, p. 201 et suiv.. Et, dans le même volume, Id., “Rayonnement de Molière au Portugal (1666-1768)“, pp. 195 et suiv.; José da Costa MIRANDA, “Notas para o estudo sobre o teatro de Molière em Portugal (séculos XIX e XX)“, p. 171 et suiv..

[29] Cette version a eu deux traductions portugaises, dont la plus récente est la suivante: Abade de VERTOT, História das Revoluções de Portugal, trad. port. de Eugénio de Andrea da Cunha e Freitas, Porto, Altura, 1945.

[30] Selon PAGEAUX, Imagens..., cité, p. 96; Le GENTIL, Les Français..., cité, p. 430.

[31] Cf. Daniel-Henri PAGEAUX, Images du Portugal dans les Lettres Françaises (1700-1755), Paris, Fondation Calouste Gulbenkian, 1971, p. 169

[32] L'Histoire portugaise, surtout celle des Découvertes, a enthousiasmé des auteurs français. Dans la décade de 30 du XVIII.e siècle sortira, en 4 volumes, Joseph-François LAFITAU, Histoire des découvertes et conquêtes des portugais dans le nouveau monde, Paris, Saugrain Père/, J.B. Coignard fils, MDCCXXXIX. Cf. Ibid., p. 95 et suiv..

[33] Comme on le sait, ce n'était pas ni la première ni la dernière fois que le sujet s'exprimait en France. Cf. Daniel-Henri PAGEAUX, Images du Portugal ..., cité, p. 123 et suiv..

[34] Cf. R. RICARD, "Littérature portugaise" in Histoire des Littératures, dir. par Raymond Queneau, Encyclopédie de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1982, vol. II/ Littératures Occidentales, p. 766.

[35] On ne connaît qu'un exemple au XX.e siècle, Les yeux d'Elsa, de Louis Aragon, où on essaie d'imiter Camoens. Mais l'imitation n'est qu'une tentative. Un titre qui est une Reditio, un contenu qui n'est qu'une Kenosis. Dans un sens similaire, Andrée ROCHA, “'Imité de Camoens'“, in Cadernos de Literatura, Coimbra, Centro de Literatura Portuguesa da Universidade de Coimbra, n.º 5, 1980, pp. 30 et suiv, max. 35, où on affirme significativement: “Mais permettez le paradoxe: imiter n'est pas facile ". Texte portugais: “Mas permita-se o paradoxo: imitar não é fácil.“. (p. 31).

[36] Cf. Paulo Ferreira da CUNHA, O Marquês de Pombal : Estado vs. Liberdade, in Faces da Justiça, Coimbra, Almedina, 2002, p. 75 et suiv..

[37] Mais, selon quelques auteurs, avant le XVIe siècle, il n'y avait pas ailleurs autant de liberté qu'au Portugal. Un exemple concret est la liberté d'expression du dramaturge Gil Vicente, qui critique librement toutes les classes, le roi inclus, et n'épargne pas l'Eglise. La théorisation politique anti-tyrannique était libre aussi. Cf. Luís de Almeida BRAGA, “Prefácio“ à D. Jerónimo OSÓRIO, Da Instituição Real e sua Disciplina ..., cité, pp. XII-XVI.

[38] La CHALOTAIS, Essai d'Education Nationale ou plan d'études pour la jeunesse, 1763.

[39] CORMATIN-DESOTEUX, L'administration de S.J. de Carvalho, 1786; Id., Voyage du cidevant Duc du Châtelet au Portugal, Paris, année VI. Quant à l'idéologie concernant la construction, cf. l’œuvre de l'avocat Jules LAN, Parallèle entre le Marquis de Pombal et le Baron Haussmann, 1869, et, récemment, José-Augusto FRANÇA, Une ville des Lumières: La Lisbonne de Pombal, 2.e éd. revue et augmentée, Préface de Pierre Francastel, Paris, Fundation Calouste Gulbenkian, Centre culturel portugais, Paris, 1988.

[40] Daniel-Henri PAGEAUX, Imagens, cité, p. 124.

[41] Cf. Paulo Ferreira da CUNHA, Pensar o Direito, I. Do Realismo clássico à análise mítica, Coimbra, Almedina, 1990, pp. 53-81.

[42] V.g., Fernando GUEDES, O Livro e a Leitura em Portugal. Subsídios para a sua história. Séculos XVIII-XIX, Lisboa/ S. Paulo, Verbo, 1987, p.79 et suiv..

[43] Qui restera inédite jusqu'à 1905, quand Teófilo Braga décide de la publier. Cette traduction est d'ailleurs commentée par Hernâni CIDADE, Lições de Cultura e Literatura Portuguesas, 7.e ed., II vol., Coimbra, Coimbra Editora, 1984, pp. 368 et suiv..

[44] Le consul portugais à Paris, José Maria Eça de Queirós, qui, d'ailleurs, y cachait toujours son vice secret (l'écriture), a commencé par être anticlérical, socialiste ( “je maintiens mon Proudhon“; texte portugais —“eu ainda vou no meu Proudhon) et “francisé“, pour devenir “vaincu de la vie“ et aimant de la vie champêtre et de la simplicité portugaises, aussi bien qu'hagiographe. Cf., de la première phase, Eça de QUEIRÓS, O crime do padre Amaro. Cenas da Vida devota (qui n’a rien à voir avec le filme contemporain homonyme), et de la seconde: A Cidade e as Serras, Vidas de Santos, etc. Os Maias, son roman le plus connu, est, sur ce point de vue, une œuvre de transition.

[45] Bien sur, on ne nie pas d'autres influences sur les romantismes portugais. Cf. Vitorino NEMÉSIO, Relações Francesas do Romantismo Português, Coimbra, Biblioteca da Universidade, 1937; Álvaro Manuel MACHADO, Les Romantismes au Portugal. Modèles étrangers et orientations nationales, Paris, Fondation Calouste Gulbenkian, Centre Culturel Portugais, 1986.

[46] Vitorino NEMÉSIO, Exilados..., cité, p. 148 et suiv..

[47] L'écrivain expliquera qu'il a “déserté les drapeaux des maîtres français“ (“[…] desertei às bandeiras dos mestres francezes […]“) pour retourner à la descriptions des usages et coutumes portugais (Camilo Castelo BRANCO, A Filha do Doutor Negro, Porto, 1864, p. XII.

[48] Celle de Paris a été faite par Bento Luis Viana; celle de Lisbonne est de la plume de João Baptista Gastão (cf. Vitorino NEMÉSIO, Exilados..., cité, p. 125).

[49] Cf. Vitorino NEMÉSIO, Exilados..., cité, p. 119 et suiv..

[50] Ibid., p. 131.

[51] Petit-fils de la Marquise d'Alorna, fille du dernier marquis de Távora. Une famille très francisée, d'ailleurs.

[52] Par contre, l'introduction de l'enseignement plus systématique du français au Portugal (en divers lieux du pays) date déjà du règne de D. João V. C'est l'époque de l'abondante importation nationale d'ouvrages “hétérodoxes“ françaises ou en langue française. Cependant, il ne faut pas oublier l'influence d'autres langues, surtout l'anglais. Les libéraux émigrés en Angleterre avaient déjà la connaissance de cette langue au Portugal, dans leur majorité. Et le processus de rotation des influences est tel, que le grand législateur Mousinho da Silveira, pendant son éxil en France, enseignait l'économie politique à ses concitoyens par un manuel anglais (cf. Vitorino NEMÉSIO, Exilados..., cité, p. 100 et suiv..).

[53] Cf. PAGEAUX, Op. cit. , p. 31. Mais le texte ne nous semble pas très clair.

[54] Selon id., ibid., p. 58.

[55] Manoel Bernardes BRANCO, Portugal e os Estrageiros, Lisbonne, Livraria A.M. Pereira, 1879, I, p. X.

[56] José Maria Dantas PEREIRA, Memorias da Real Academia das Sciencias de Lisboa, cité par Manoel Bernardes BRANCO, Portugal e os Estrangeiros, cité, I, I, p. VII, n. 1.

[57] João MEDINA, Salazar em França, Lisbonne, Ática, 1977.

[58] En tout cas, notre thèse ne traite pas des hypothétiques influences portugaises en France, mais du contraire — ce qui est beaucoup plus lourd. Une autre question que nous ne traitons pas est celle des Français au Portugal, et des portugais en France. Quelques études ont été considérées fabuleuses, idylliques, comme celui de Georges LE GENTIL, “Les Français en Portugal“, Bulletin des Etudes Portugaises, Coimbra, I vol., 1931. Pour notre période, cf. surtout Jean-François LABOURDETTE, La Nation Française à Lisbonne de 1669 à 1790. Entre colbertisme et libéralisme, Paris, Fondation Calouste Gulbenkian. Centre Culturel Portugais, 1988, et les classiques: Manoel Bernardes BRANCO, Portugal e os estrangeiros, cité, 5 vols., 1879-95; R. FRANCISQUE-MICHEL, Les Portugais en France, les Français en Portugal, 1882. Et encore: Jean-Michel MASSA, La présence des humanistes portugais en France. L'Humanisme français au début de la Renaissance de Pétrarque à Descartes, Paris, Vrin, 1973; Cf. aussi Castelo Branco CHAVES, A Emigração francesa em Portugal durante a Revolução, Lisbonne, Instituto de Cultura e Língua Portuguesa, 1984.

[59] Sur les traducteurs étrangers d’œuvres portugaises (avec une significative présence française), cf. Manoel Bernardes BRANCO, Portugal e os Estrangeiros, cité, II, p. 457 et suiv..

[60] Lopes PRAÇA, História da Filosofia em Portugal, 3.e éd., Lisbonne, Guimarães Editores, 1988 (1.e ed. 1868); José de ARRIAGA, A Filosofia Portuguesa. 1720-1820, vol. extraído da História da Revolução Portuguesa de 1820, Prefácio e Notas de Pinharanda Gomes, Lisbonne, Guimarães, 1980; A. Braz TEIXEIRA, O pensamento filosófico-jurídico português, Lisbonne, ICALP, 1983; Id., Sentido e valor do Direito. Introdução à Filosofia Jurídica, Lisbonne, Imprensa Nacional Casa da Moeda, 1990, p. 33; Hernâni CIDADE /Carlos SELVAGEM, Cultura Portuguesa, plusieurs volumes, Lisbonne, Editorial Notícias, s/d.; J.S. da Silva DIAS ,“Portugal e a Cultura Europeia (Sécs. XVI a XVIII)“, Coimbra, tiré à part de Biblos, Coimbra, vol. XXVIII, 1953; Manuel Dias DUARTE, História da Filosofia em Portugal nas suas conexões políticas e sociais, Lisbonne, Livros Horizonte, 1987. Et la monumentale História do Pensamento Filosófico Português, dirigée par Pedro Calafate, Lisbonne, Caminho, plusieurs volumes, 1999 -...

[61] José Agostinho de MACEDO, Os Burros: poema heroi-comico satyrico em seis cantos, Porto, Livraria Cruz Coutinho, 1892.

[62] Texte portugais: “[...] Génio da tradução, delícia, emprego/ De muitos sábios que apascenta o Tejo.../ Com traduções da Pátria a glória aumentam !/ ...]/Traduz Pope, Aguiar; Ribeiro, Horácio;/ Traduz Niceno e traduziu Bocage;/ Traduz António de Araújo, em verso;/ Manuel de Sousa traduziu, vivendo,/ Morreu a traduzir Manuel de Sousa;/ Traduz agora de Palmela o conde;/ E Lusitano Cândido vertia;/ Traduziu Piedegache, e todos deram/ Co'a língua nos infernos quintos...“

[63] Daniel-Henri PAGEAUX, Imagens..., cité , pp.113-115.

[64] Ibid. Texte portugais: "No entanto, eis que alguns pormenores nos permitem identificar um homem sem idade. Parece imberbe, com um bigode que apenas desponta, um olhar sonhador por detrás de um véu que cai do alto de uma espécie de chapéu grande e negro. Dir-se-ia que esse véu faz parte de um grande navio que mal se descortina no horizonte."

[65] Ibid. Texte portugais : "Mas eis que se nos depara de súbito um outro rosto, o de um homem de barba, com um olhar igualmente sonhador, mas este homem tem apenas um olho. O chapéu de aba larga do primeiro homem desapareceu, sendo substituído por uma coroa de folhas de louro à volta da fronte ampla. É dificil distinguir outros traços do seu rosto, mas vemos ainda que esse homem enverga uma magnifica couraça e uma espécie de camisa branca com uma gola alta plissada à volta do pescoço."

[66] Les exemples pourraient se multiplier. Cette réduction de la littérature portugaise à Camoens, et très spécifiquement à son œuvre épique, est fréquente, même parmi les plus érudits. Aubrey Bell critique pour cette raison Edgar Quinet, l'appelant homo unius libri (Aubrey F. G. BELL, A Literatura Portuguesa (História e Crítica), trad. port. de Agostinho de Campos e J. G. de Barros e Cunha, Lisboa, Imprensa Nacional, 1971, p.10). Critiquant ce reductionisme, mais essayant aussi l'expliquer, cf., v.g., R. RICARD, “Littérature Portugaise“, cité, p. 766.

[67] Daniel-Henri PAGEAUX, ibidem . Texte portugais :"(...) De facto, as mãos brancas e os punhos de camisa engomados pertenciam a outro corpo, feito de milhares e milhares de pernas que se vê a saírem do mar, a caminhar na areia, depois a caminhar pelas ruas, a subir escadas, vigas, a correr de um lado para o outro na lama dos chantiers..."

[68] En tout cas, ce serait intéressant de faire une étude de la psychologie différentielle de l'immigrant portugais, selon les pays d'accueil. Nous pensons que, exception faite de l'immigrant au Brésil, l'immigrant en France serait le plus portugais de tous. En quelque sorte, dans les flux migratoires comme dans la vie, on ne trouve que ce qu'on cherche, et on ne cherche que ce qu'on est déjà — que ce qu'on a déjà. Si on compare les statistiques d'immigration dans un grand pays, avec une grande variété de climats, on arrive souvent à la conclusion que ce ne sont pas seulement les régions qui favorisent le flux migratoire, ce sont aussi les immigrés qui choisissent les régions. Malgré tout, les Portugais qui arrivent aux Etats-Unis pour y travailler s'approchent graduellement des régions de l'Ouest, de climat méditerranéen, aussi bien que les Espagnols et surtout les sud-américains préfèrent le sud, le Texas et la Floride.

[69] Jorge Luis BORGES, “Prólogo“ à Marcel SCHWOB, Vidas Imaginárias [Vies imaginaires, 1896], trad. cast., Orbis, Barcelona, 1986, p. 9.

[70] L'auteur a écrit plusieurs travaux. Mais le plus important est A Literatura Portuguesa, cité.

[71] Il parle, évidemment, de l'absence d'accidents géographiques de totale discontinuité par rapport à l'Espagne. Mais, selon quelques auteurs, cela ne serait complètement vrai pour toutes les frontières. Au fond, c'est bien une question de degré. Les plaines espagnoles se transforment en montagnes dans le centre este du Portugal, oui. Mais elles ne sont pas le Himalaya... C'est aussi une question de point de vue.

[72] Mais personne n'avait plagié... Même pas Zola, qui a publié son livre plus tard. Les mêmes thèmes étaient dans l'esprit du temps. Il y a eu une communion de préoccupations. Mais le syndrome de l'influence fait surtout ses victimes parmi les cultures dites marginales. M. Zola, a écrit et publié son ouvrage en 1875, comme cinquième volume des Rougon Macquart. Le livre portugais avait été écrit en 1871 et publié en 1874, mais il n'avait été remarqué que plus tard. Cf. Eça de QUEIROZ, “nota à segunda edição“, O Crime do Padre Amaro, 25.e éd., Lisbonne, Livros do Brasil, s/d, p. 11 et suiv..

[73] Et même cette influence sera une sorte d'influence française. Car les russes seront influencés par des traductions françaises du russe. Cf. Andrée ROCHA, Relações culturais luso-francesas..., cité, p. 376.

[74] Andrée ROCHA, Relações culturais luso-francesas..., cité, p. 373. (Texte portugais: “Com efeito, se percorrermos a literatura portuguesa desde os primórdios até aos nossos dias, impressiona a constância da fascinação que a França exerce sobre a mentalidade portuguesa. Embora esporadicamente concurrenciada, ao sabor de motivações diversas, por influxos espanhóis ou italianos, ingleses ou alemães e, em épocas mais recentes, pelo exemplo russo [74] , norte-americano e brasileiro, esse fascínio não tem paralelo em nenhuma outra relação bilateral.“). On doit ajouter que l'illustre Auteur d'origine belge ne dénie pas aux Portugais l'originalité, dans l'ambiance de l'influence. Elle conclue un peu dans le même sens de Bell: “D'innombrables textes qui nous parlent d'autres textes, de procès qui copie d'autres procédures, de mouvements qui originent d'autres mouvements, des auteurs influencés par d'autres auteurs. On dirait que la littérature portugaise va à la traîne des nouveautés de Paris. Elle irait mal, si cela était vrai. Mais heureusement les écrivains du Portugal dignes de ce nom ou ont refusé une telle sujétion, ou ont réussi à racheter la dette extérieure par des crédits authentiques et originaux.“ (p. 374) (Texte portugais: “Um nunca acabar de textos que dão conta de outros textos, de processos que decalcam outros processos, de movimentos originando outros movimentos, de autores marcados por outros autores. Dir-se-ia que a literatura portuguesa anda permanentemente a reboque das novidades de Paris. Mal ia, se assim fosse. Mas felizmente, os escritores de Portugal dignos desse nome ou souberam recusar tal sujeição, ou conseguiram resgatar a dívida externa por créditos genuínos e originais.“). Cette distance du modèle qui mène à l'originalité ce n'est pas même difficile à trouver, car ce n'est pas la France concrète, réelle, que les Portugais admirent, mais l'archétype de la France: “C'est en tant que 'monde supérieur', c'est-à-dire, c'est comme vivier de culture, d'art et de réalisation esthétique et intellectuelle que [la France] provoque cette syntonie […]“ (p. 378) (Texte portugais: “ É como 'mundo superior', isto é, como viveiro de cultura, de arte e de realização estética e intelectual que suscita essa sintonia (...)“). En somme, la France est, pour les intellectuels portugais, le royaume de la culture, et Paris est la Capitale de l'Esprit. (Capital do Espírito a été même le titre courageux d'un ouvrage de Luis Forjaz Trigueiros, publié en 1939, en pleine ascension du germanisme nazi). Ce n'est pas différent, en vérité, du concept que, du moins dès Du Bellay, la France a d'elle-même, comme “mère des lettres et des arts“. Un autre facteur a aidé à l'admission de la culture française: son universalisme et sa progressive “neutralité“ nationale ou politique, c'est-à-dire, sa dévotion à la pureté de l'art, de la science, etc., sans souci des jeux du moment (avec, bien sûr, des exceptions). Cela jouerait un rôle important dans la réception culturelle: une telle culture ne crée pas des anti-corps dans d'autres nations. Tout au contraire de ce qui arrive avec le binome nation-politique de la culture espagnole ou allemande. (Cf. Eduardo Lourenço de FARIA, "Portugal-França ou a comunicação assimétrica" in Rapports culturels..., cité, p. 15 et suiv.). L'Université de Paris donne l'exemple de cet internationalisme. En quel autre pays serait-il possible une 'université avoir au moins 5 recteurs (doyens) de nationalité portugaise? En revanche, quand le “francisme“ ou l'excès de nationalisme dans la culture française lui enlèvent l'universalité, la réaction portugaise est de rejet — comme le témoignent quelques pages de Miguel Torga ou de José Régio. Paris, c'est toujours “la Meque culturelle, à la fois détestée et admirée“ (cf. idem, pp. 22 et suiv..

[75] Sur les problèmes et aléas de la périodisation, cf. René WELLEK, ”Periods and movements in Literary History“, in English Institute Annual, 1940, New York, Columbia University Press, 1941; V. M. de Aguiar e SILVA, Teoria da Literatura, 4.e ed. Coimbra, Liv. Almedina, 1982, p. 395 et suiv.; René WELLEK, Austin WARREN, Teoria da Literatura, trad. port., 4.e éd., Lisbonne, Europa-América, 1984, p. 43 et suiv..; Erich AUERBACH, Introdução aos Estudos Literários, S. Paulo, Cultrix, 1972, p. 31 et suiv..

[76] A. BELL, Op. cit., pp. 9-13.

[77] Une maxime d'une valeur énorme est ici implicite: l'influence et l'originalité sont, en effet, compatibles. Bien sûr.

[78] A. BELL, Op. cit., p. 10.

[79] A. BELL, Op. cit., p. 11. Et l'auteur conclut: “ceux qui méprisent la littérature portugaise le font par ignorance […]“ (Ibidem ).

[80] Jorge Borges de Macedo est d'accord avec lui. Pour ne citer qu'un exemple.

[81] Joaquim Barradas de CARVALHO, A la recherche de la spécificité de la Renaissance Portugaise, Paris, Fondation Calouste Gulbenkian. Centre Culturel Portugais, II vols., 1983.

[82] L'auteur ne s'occupe pas du concept abstrait d'originalité. Il essaye de le découvrir à travers d’une recherche “sur le terrain“, notamment à partir de la lecture de nombreuses sources de documents de l'époque. L'analyse des champs sémantiques et des connotations de mots comme “découvrir“, “découverte“, etc. fournira la clef. De plus, l'auteur se concentre sur la figure et l’œuvre de l'humaniste Duarte Pacheco, l'auteur du Esmeraldo de situ orbis. Sur sa méthodologie, Carvalho écrit: “c'est par l'étude d'un mot et d'un concept, en faisant sa pré-histoire et son histoire, que nous sommes partis à la recherche des caractères originaux de l'expansion portugaise, de sa spécificité. Il s'agit en l'occurrence de la préhistoire et de l'histoire des mots et des concepts de découvrir et de découverte, descobrir e descobrimento.“ L'Auteur affirme ainsi la synonymie entre originalité et singularité, comme le prouve encore ce passage: “nous sommes à la recherche de la spécificité des caractères originaux de la Renaissance portugaise, nous sommes A la recherche de la spécificité de la Renaissance portugaise.“ (Joaquim Barradas de CARVALHO, A la Recherche de la spécificité de la Renaissance portugaise, cité, p. 783 et p. 779).

[83] “Si on peut poser une question, alors on peut aussi y répondre“, dit, entre autres, Ludwig WITTGENSTEIN, Tractatus Logico-Philosophicus, 6.5, ed. port. Tratado-Lógico-Filosófico, Lisbonne, Fundação Calouste Gulbenkian, 1987, p.141. (Texte de la traduction portugaise:“Se se pode de todo fazer uma pergunta, então também se pode respondê-la.“ ).

[84] Georges LEFEBVRE, La naissance de l'historiographie moderne, Nouvelle Bibliothèque Scientifique dirigée par Fernand Braudel, Paris, Flammarion, 1971, p. 53 (œuvre posthume), cité par Barradas de CARVALHO, A la recherche..., cité, pp. 781 et 798.

[85] Une fois que — rappelons-le — la Renaissance en générale est identifiable par le phénomène général de la découverte, et des Découvertes maritimes en particulier, dans le système que nous sommes en train d'accompagner.

[86] Sérgio Buarque de HOLANDA, Raízes do Brasil, 5.e éd. revue, Rio de Janeiro, 1970, 1.e éd. 1936, p. 79, cité par Barradas de CARVALHO, A la recherche, cité, pp. 541 e 656. Il y a une nouvelle édition au Portugal : Lisbonne, Gradiva, 2000.

[87] Et cette originalité est une pierre de touche des autres. Il n'est pas concevable qu'il y a une telle originalité à part d'autres manifestations de la culture ou de l'esprit, plus ou moins dans le même sens...

[88] Cette originalité des Découvertes portugaises est, en grande mesure, la grande (et selon certains la seule, et déjà perdue — et ainsi commémorée) originalité portugaise. Il y a une étude très intéressant qui compare l'expansion (les Découvertes et les colonisations) de portugais et français. Selon cette étude, tout, entre le Portugal et la France était semblable, identique ou équivalent à cette époque-là. La géographie (même la géographie!), le caractère agraire de la monarchie (malgré une royauté commerciale au Portugal), la centralisation du pouvoir (en dépit de l'inexistence de féodalisme au Portugal), le rôle de l'église, la situation des Finances, etc. Rien semble donner des avantages au portugal. Quelle serait, alors, la clef du triomphe portugais et d'une réussite plus tardive de la France en outre-mer? L'explication se trouverait dans un vieux mythe, très présent à l'imaginaire français: ce qu'on pourrait nommer le complexe de Du Bellay — une permanente nostalgie du foyer — “Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village, fumer la cheminée...“. En somme, le Portugal aurait une vocation et une politique maritimes, tandis que la France, malgré tous ses efforts (notamment de François I) demeurait attachée à la terre, et, éventuellement, au grand lac méditerranéen, et pas plus. Cf. Frédéric MAURO, "Viagens de descobrimentos e primeiras colonizações. Comportamentos português e francês comparados" , in História, Ano XIII, n.º 139, Abril, 1991, pp. 4-14. V. aussi Fernand BRAUDEL, Identité de la France ; Etienne TAILLEMITE, L'histoire ignorée de la marine française, Paris, 1988. Le travail de Mauro est une preuve encore à ajouter à la théorie que, par commodité, nous attribuons à Bell (son défenseur en littérature). Dans ce cas de découvertes maritimes, une coïncidence, ou équivalence (et pour quelques uns, même la précédence dans quelques découvertes — Canada, Brésil, etc.) ne nuit pas à la nouveauté ou à l'originalité de ce qui est ultérieur. Dans une lettre de D. Manuel aux rois catholiques sur le Brésil, Cabral aurait “découvert à nouveau“ [“novamente descobriu“] . Cependant, le chroniqueur de Cabral, Pêro Vaz de Caminha, raconte au roi “qu'on a trouvé votre terre nouvelle, celle que pendant cette navigation on a maintenant trouvée “ [Texte portugais: do achamento desta vossa terra nova que nesta navegação agora se achou.“ ] Curieusement, peut-être cueillant déjà la leçon de Barradas de Carvalho, Mauro considère étrange, dans ce texte, l'absence du mot “découvrir“. Sur la réussite des portugais aux tropiques, v. surtout l’œuvre du brésilien Gilberto FREYRE, Casa Grande & Senzala. Formação da Família Brasileira sob o Regime de Economia Patriarcal, Lx., Livros do Brasil, s.d; Idem, Interpretação do Brasil. Aspectos da formação social brasileira como processo de amalgamento de raças e culturas, trad. de Olívio Montenegro, organização de Omar Ribeiro Thomaz, São Paulo, Companhia das Letras, 2001, etc..

[89] Cf. Pedro ARROJA, “Gestão Científica em Portugal: em defesa de John Brown“, in IV Jornadas Luso-Espanholas de Gestão Científica, Porto, Universidade Portucalense, 1988, I vol., p. 205 et suiv..

[90] Bien sûr, certaines alliances les ont conduit à la guerre, comme ce fut le cas en Inde. Où, d'ailleurs, la question principale serait, selon quelques auteurs, celle d'expulser les envahisseurs musulmans.

[91] Jorge DIAS, Estudos de Antropologia I, Imprensa Nacional - Casa da Moeda, Lisbonne, 1990, pp. 135 et suiv..

[92] Selon certains, même pendant la seule guerre civile portugaise, au XIXe siècle, entre les partisans de deux frères rivals (les Princes Miguel et Pedro), cette esprit de souplesse aurait été présente.

[93] Coïncidence dans ce cas et non influence, certainement, car il est difficile faire une transposition ou saisir une causalité entre la présence grecque et phénicienne dans la péninsule ibérique pré-romaine et l'expansion portugaise.

[94] Qu'on ne doit pas confondre avec la littérature espagnole, car celle-ci inclut la littérature galicienne, basque, catalane, etc.. Cela va de soi.

[95] Cf. em Aubrey BELL, A Literatura..., cité, p. 8, n. 1, cite des témoignages unanimes d'écrivains portugais quidéclarent avoir écrit, ou faire traduire, en castillan, parce que cette langue était plus connue: Sousa de Macedo, D. Francisco de Portugal, Faria e Sousa, Bernareda Ferreira de Lacerda, Pedro Nunes. D'autres écrivains, comme Frei António da Purificação, regrettent ne l'avoir pas fait. Et bien que leur opinion soit douteuse, ils attribuent tous leurs problèmes de divulgation à cela. Simão Machado confesse, significativement: “Voyant que vous acceptez mal/ Les ouvrages des naturels [du Portugal]/ J'ai fait celui-ci en langue étrangère/ Pour voir si ainsi/ Vous nous traiterez comme à eux [aux étrangers]“ (Texte portugais: “Vendo quão mal aceitais/As obras dos naturais/ Fiz esta em língua estrangeira/ Por ver se desta maneira/ Como a eles nos tratais“). Le seul qui montre ne pas regretter le refus des muses espagnoles est Frei Bernardeo de Brito qui, liminairement dit ne pas vouloir écrire sa Monarquia Lusitana en castillan ou latin, comme on l'avait conseillé. Mais, évidemment, la langue vernaculaire était plus convenable au thème. A propos, António Ribeiro dos SANTOS, Poesias de Elpino Duriense, 3 vols., Lisbonne, Na Impressão Régia, 1812, I , p. 78, dira: “[Ils] maltraitent notre langue vénérable:/ ils veulent la laisser/ à l'hôpital des invalides. / Les jeunes portugais ne causent pas, ils parlent/ Des langues étrangères qu'ils savent mal/ Ou un dialecte informe et jamais écouté/ Un mélange de portugais et de français.“ (Texte portugais: “Despeitão nossa Lingua veneranda: /Querem deixá-la /No hospital dos inválidos. Não fallão/Já nossos moços Portuguez só parlão/Ou línguas estrangeiras que mal sabem,/Ou hum Dialecto informe nunca ouvido./De Português e de Francês meado.“). Cf. aussi, p. 79, et passim; Ibidem, vol. III, pp. 8-9, avec une comparaison entre les langues portugaise et française, “si à la mode“).

[96] Et le français Edgar Quinet, que Bell critique par son admiration inconditionnelle pour Camoens, a très bien vu ce drame, et l'a magnifiquement décrit: “Ne mesurez pas votre action dans le monde par la simple force. Vous avez trouvé l'Amérique avec deux cents hommes, les Indes avec cent cinquante. Vous ne posséderez plus une à une les deux Indes: mais si l'empire intérieur de votre esprit navigateur vit encore, vous trouverez d'autres mondes sans sortir du foyer.“ (Edgar QUINET, en 1843, cité par Eduardo Lourenço de FARIA, Portugal-França ou a comunicação assimétrica, cité, p. 13)

[97] Si ce courant est surtout étranger au Portugal, il fait sentir son influence même au Portugal, sans doute justifiée par un pathologique complexe d'infériorité-supériorité nationale (Eduardo LOURENÇO, O Labirinto da Saudade, Lisbonne, Dom Quixote, 1978. Bien sur, on ne doit pas confondre ce complexe, qui est un préjugé, un pré-jugement, avec la reconnaissance des influences et liaisons de la culture espagnole dans la culture portugaise (v.g., l'exemple de António José SARAIVA, "Portugal, Castela e a Europa" in Raiz e Utopia, n.º 7 / 8, Lisbonne, s.d., pp.63-68).

[98] Il n'est pas rare de trouver, à l'étranger, des études, même apparemment érudites, qui intègrent complètement la culture portugaise à l'espagnole. Dans beaucoup d'universités, la désignation de 'centres d'études hispaniques' ne fait aucune distinction entre la culture portugaise et l'espagnole. Et si quelquefois ils intègrent des chercheurs lusophones, ceux-ci sont presque toujours des brésiliens. Ce qui a comme conséquence immédiate la pédagogie de la langue et surtout de la culture. Ils ne peuvent pas apprendre le portugais duPortugal. Les livres didactiques, par exemple en Allemagne, apprennent déjà le “portugais du futur“, c'est-à-dire, le portugais du Brésil — qui offre un marché beaucoup plus vaste, et une musicalité linguistique très séduisante. Pageaux, un fin connaisseur de la culture portugaise, surtout littéraire, quand il parle des images du Portugal dans l'imaginaire français, considère qu'elles oscillent entre l'indifférence (liée à l'ignorance) et une certaine hostilité, surtout dérivée du préjugé de l'assimilation du Portugal à l'Espagne. Quand voyager était une aventure, venir au Portugal à travers l'Espagne, était une bizarrerie ou une nécessité. Les rigueurs du temps, les mauvaises installations, les voleurs de route, tout fatiguait le voyageur qui traversait l'Espagne. Au Portugal, on n'arrivait point, ou on arrivait épuisé, et tout semblait être mauvais, trop différent. En outre, l'Espagne est l'ennemi séducteur par excellence de la France. L'Espagne, c'est Carmen de l'opéra de Bizet. Sauvage, médiévale, folle, excessive, simultanément aimée et détestée. Un magnétisme impossible avec le Portugal, plus nuancé et conciliateur, plus lyrique que dramatique, plus naïf qu’imposant. Cf. Daniel-Henri PAGEAUX, Imagens..., cité, pp. 27-22.

[99] Aubrey BELL, A literatura..., cité, p. 10.

[100] Cf. Paulo Ferreira da CUNHA, Teoria da Constituição. Vol. I. Mitos, Memórias, Conceitos, Lisbonne / São Paulo, Verbo, 2002, passim.

[101] Cf. Paulo Ferreira da CUNHA, “Jusnaturalismo e Jushumanismo. O Desafio da Declaração dos Direitos do Homem e do Cidadão”, in Faces da Justiça, cité, p. 255 et suiv..

[102] Cf.plus récemment, Jean-Christophe RUFIN, Rouge Brésil, Paris, Gallimard, 2001.