Al-Insan, l’Homme, ce grand Oublieux [1]

 

Jean Lauand
jeanlaua@usp.br

Faculdade de Educação da USP

 

La Tradition Occidentale

L’homme est fondamentalement, un être qui oublie! Dans cette caractérisation anthropologique aïgue coïncident les traditions de sagesse orientale et occidentale.

Parmi les grecs, nous trouvous déjà l’extraordinaire rôle attribué à la Mémoire, Mnemosyne, dans les arts et la philosophie. “Mnemosyne c’est la mère des Muses” dit Hésiode 700 ans avant le Christ. Un siècle plus tard, Sappho affirme qu’il n’y a pas de mémoire sans les Muses (qui auraient hérité de leur mère, des aspects de leur don). et, après cent ans encore, Pindare établit aussi le caractère “souveneur” des muses dans son hymne grandiose, l’Hymne à Zeus. La scène est limpide: sous le pouvoir de Zeus, toute la confusion et toute la déformité ont donné lieu à l’harmonie et à l’ordre. Quand le monde atteignit sa perfection de beauté, Zeus, dans un banquet, demande aux dieux s’ils croient qu’il manque quelque chose. “Oui - c’est la réponse - il manque des créatures divines qui louent cette beauté”...

Ce choeur de poètes ne s’exprime pas seulement au sujet de l’art ou de la philosophie de l’art; il s’exprime aussi et surtout de profondes convictions anthropologiques; l’homme est fondamentalement, un “oublieux”: d’où le besoin des filles de Mnemosyne pour qu’il puisse se souvenir. C’est pour cette même raison que les grands penseurs de la tradition occidentale considéraient les découvertes philosophiques non exactament comme un “tomber”sur quelque chose de nouveau insolite, mais précisément en tant que dé-couvertes: amener à la consciense quelque chose de déjàvu, de déjà connu mais qui, par une raison quelconque n’était pas restée dans la conscience. Et tout d’un coup, un insight, une lumierè intérieure permet de s’apercevoir de la réalité déjàvue: une ratio, jusque là, couverte. Ainsi, la mission de la Philosophie n’est pas non plus celle de nous présenter quelque chose de déjà vécu et su qui, cependant, restait inaccessible: justement ce qui s’exprime par le mot souvenir.

Il est évident que tout en affirmant le caractère “oublieux” de l’hommme, on n’affirme pas qu’il oublie tout, mais surtout - et c’est presque une constatation d’ordre empirique - l’essentiel. En vénté, l’homme se souvien de beaucoup de choses: naturellement, lui, “créature triviale” (Guimarães Rosa) n’oublie pas de vérifier sa monnaie, n’oublie pas, non plus, la date de l’interview pour un nouvel emploi ni la date du dernier match d’un championat et même pas des réalités qui composent la routine du quotidien. Beaucoup plus facile est le fait que précisément devant les sollicitations toujours urgentes du “journal des jours” (Guimarães Rosa), on puisse oublier les grandes vérités, comme la grandiosité de la création divine ou l’inexorable réalité de la propre mort. Ou, comme dit Dieu par la bouche du prophète Jérémie: “La fille, oublie-t-elle ses ornements? La fiancée, sa ceinture? mais mon peuple M’a oublié à jamais (Jér,2,32).

Le remède pour cet oublieux-né c’est l’art (Pindare) et la philosophie en tant que reminiscence (Platon).

Pour conclure, encore un témoignage de la tradition occidentale qui provient de la théologie de S. Thomas: la mémoire est une puissante vertu intellectuelle-morale, une partie importante de la principale das vertus cardinales, la prudentia. D’oú l’affirmation de S. Thomas sur la mission décisive de la méditation: maintenir vivant le souvenir devant de l’enthropique tendance à l’émoussement .

La Tradition Orientale

Si cette façon oublieuse d’être est considérée, comme nous disions, une caractéristique essentielle de l’être humain dans l’anthropologie classique de l’Occident, dans la tradition orientale, telle considération est encore plus radicale. Dans la langue arabe, depuis des temps immémoriaux, le mot pour l’être humain est Insan. La surprennante profondité anthropologique continue dans ce mot, se manifeste quand nous faisons attention à son signifié littéral, donnant emphase à une caractéristique humanie qui s’est “absolutisée” pour désigner l’homme, Insan - dérivé du verbe nassa / yansa, oublier - indique celui qui oublie.

L’infinie sagesse de la langue arabe, tout en désignant l’homme par Insan, l’ “oublieux” se trouve confirmée par le fait que le parleur arabe lui-même ne s’aperçoit pas, au jour le jour, de ce fait. D’où le vers judicieux: "Wa ma sumya al-insan insanan illa linissyanihi". L’être humain (Insan = être humain on “oublieux”) ne fut appelé oublieux que par son oubli. Evidemment, il y a dans la formulation originale en jeu de mots délicieux, comme si on disait, en français, toujours à cause de tous les jours.

Ou pent, donc, comprendre que dans la Bible, Dieu se présente fréquemment comme “celui qui n’oublie pas” en opposition à l’ “oublieux” par excellence, Insan. Est-ce qu’une femme peut oublier celui qu’elle allaite? Même si elle l’oubliait. Moi je ne t’oublierais pas (Is 49,15). Et l’homme dans sa prière, demande à Dieu “souveneur”: depuis Moïse (Ex 32,13) jusqu’an bon larron (Lc 23,42) la Bible est remphie de prières: “Souviens - Toi, ó Seigueur...”

L’oubli humain est fréquemment diagnostiqué comme auto-suffisance qui provient de la prospérité: “Qu’il arrive, dit Dieu, à l’entrée du peuple dans la terre promise, d’où jaillit lait et miel - qu’après avoir mangé à satiété ... et augmenté ton or etc.; tu viennes à oublier le Seigneur, ton Dieu (Dt 8, 12 et ss). Et en fait, Jesurun s’est engraissér et a oublié (Dt. 32,15) “Moi je les ai fait paître et ils se sont rassasiés; une fois rassasiés, leur coeur s’est exalté et, pour cela, ils M’ont oublié” (Os 13,6).

Conscient du fait que l’homme est Insan, oublieux, l’Orient développa une pédagogie - méprisée, oubliée et incomprise par l’homme occidental contemporain - la pédagogie du dhikr, la pédagogie du souvenir, la pédagogie fondée sur la répétition, sur le savoir par coeur, sur les fêtes, les gestes, les rituels...

L’homme occidental d’aujourd’hui est tellement déraciné (il oublie même sa condition d’oublieux ...) si écarté de la sagesse, si auto-suffisante dans son habitat technologiquement domestiqué dans son monde si incolore et sans âme que ne se sensibilise par rien (exceptés, peut-être, les nouvelles formes de consommation ou les effets spéciaux ...) l’occidental pourrait s’exposer à la nécessaire complémentarité du dialogue avec l’Orient pour récupérer les racines d’une sagesse qui, finalement, ne sont que les racines de sa propre tradition occidentale.



[1] Le présent bref article est basé sur les chapitres de Michèle Simondon "Mnémosyne, mère des Muses" in La Mémoire et l'Oubli dans la Pensée Grecque jusqu'à la fin du Ve.  siècle avant J. C., Paris, Société d'édition "Les Belles Lettres", 1982; Bruno Snell "Pindar's Hymn to Zeus" in The Discovery of the Mind - The Greek Origins of European Thought, Cambridge, Harvard Univ. Press, 1953; et Josef Pieper Nur der Liebende singt, Schwabenverlag, 1988, p. 35